Surviving a difficult childhood made Carlos feel like he could confront anything. He started the first gay organization in the Cote d'Ivoire and was making progress. But Carlos wasn't prepared for...
Ma soeur Solange
Une jeune femme interroge les non-dits familiaux afin de mieux comprendre comment le génocide rwandais a touché de façons différentes les membres de sa famille. Avec sa sœur Solange comme guide, elle construit son identité à travers cette exploration.
Ma soeur Solange
Par Stephanie Gasana
Le président du Rwanda a un jour expliqué dans l’un de ses discours que les Tutsis devraient enfermer leurs souvenirs et leurs peines dans un coffre-fort imaginaire et le mettre de côté, afin de pouvoir passer à travers les périodes difficiles et se construire un avenir meilleur. Est-ce la solution? Existe-t-il un moyen de lier le passé au présent ? Nos expériences passées ne forgent-elles pas notre vie ? Faudrait-il les cacher ou les dévoiler ?
Ma famille a toujours tenté de m’épargner les détails de notre passé. Notamment, ma sœur Solange qui a toujours joué le rôle de la grande sœur protectrice. Mes parents viennent tous deux du même village de Kibuye, la capitale de la province occidentale du Rwanda. Solange et moi avons 15 ans d’écart et nos biographies semblent être complètement différentes.
Nous avons aussi plusieurs points en commun : nous tenions toutes les deux des journaux intimes.Si vous aviez à consulter des extraits de nos journaux intimes, à nos 15 ans, auriez-vous pu deviner que nous étions des sœurs? Que nous étions de la même famille? Si j'étais née à la même époque que ma sœur, aurais-je été une personne totalement différente?
Toutes ces interrogations m’ont incité à mener une petite enquête sur l'histoire de ma famille. J’ai donc voulu comparer nos vies, nos enfances, afin d’en faire ressortir les différences.
Si chacun de nous devait évoquer son chez-soi, son foyer, son pays, pourriez-vous deviner que nous sommes sœurs? Mon papa était un visionnaire, aventureux, ambitieux, très déterminé. Et ma maman, toujours très pessimiste, soucieuse du bien-être de ses enfants, elle ne recherchait que la stabilité.
J'ai grandi en Éthiopie. J’ai toujours habité le même quartier de Bole, en Éthiopie. Cet endroit signifie tout pour moi. Tous mes souvenirs s’y trouvent. C'est ma terre, ma raison, mon Eldorado et je sais que j’y retournerai un jour pour m’y installer.
Solange ne savait jamais combien de temps elle passerait dans un même lieu. Elle a beaucoup voyagé avec ma famille : Congo, Burundi, Rwanda, Libye, Tunisie, France et finalement, le Canada, qui est le pays où elle a résidé le plus longtemps. Elle a plusieurs souvenirs rattachés à plusieurs endroits. Aucun pays ne lui appartient. Aucun pays ne lui est particulièrement cher.
Si nous avions à définir ce que la famille signifie pour nous, sauriez-vous que nous sommes sœurs ?
Je suis née en 1990, une nouvelle ère pour le Rwanda, pleine d'espoir et de réconciliation. C'était une nouvelle ère pour mes parents aussi. Un nouvel espoir car ils avaient décidé d'avoir un dernier enfant, moi, qui suis beaucoup plus jeune que toutes mes autres sœurs. Je suis née au milieu du meilleur et du pire moment de l’histoire de ma famille, au moment où notre situation de réfugiés s’est rétablie, où nous avons finalement obtenu tous les droits, mais c’est aussi le moment où mes parents ont décidé de se séparer. Mon père a voulu vivre ses rêves, voyager, rattraper le temps perdu. Ma mère a décidé de prendre soin de moi et de m'offrir la stabilité qui était primordiale pour elle. J’ai grandi avec une mère et le reste de ma famille éparpillée dans le monde.
Solange, elle, est née au début de l’histoire de ma famille, peu après le mariage de mes parents. Elle est le fruit de leur amour. Elle est née au sein d’une grande communauté, entourée de tous les membres de la famille, cousins, tantes, etc. Malheureusement, nous avons perdu toute cette famille durant le génocide de 1994. Nous avons également perdu notre famille unie avec la séparation de nos parents.
Et si nous parlions de notre identité, que penseriez-vous ?
Je suis originaire du Rwanda, mais je ne parle pas la langue et je n’y ai jamais vécu. Je n’ai jamais vraiment pu visiter le pays non plus, étant donné que nous avons perdu tous les membres de notre famille. J’ai grandi en Éthiopie pendant les 18 premières années de ma vie. Je me sens donc Éthiopienne. J’ai le sourire aux lèvres quand je reconnais un Éthiopien, quand j’écoute la musique et surtout quand je mange le plat traditionnel.
Solange a beaucoup de mal à s’identifier, à choisir un pays. Ma famille ayant été apatride pendant si longtemps, Solange reste avec l’idée de ne pas avoir d’identité. Mon père lui a dit un jour de ne jamais mentionner que nous venions du Rwanda. Elle m’avoue aujourd’hui qu’empêcher à un enfant de dire quoique ce soit, confier un secret à un enfant, est aussi hasardeux que de lui offrir des bonbons et de le défendre d’en manger. «Si seulement tu savais à quel point tu as eu de la chance ,» me dit ma sœur aujourd’hui.
Eh bien, je voudrais en savoir plus, je pense que nos histoires nous définissent d’une certaine manière, nos passés nous forgent. Il est donc temps que je comprenne l’histoire de ma famille afin de mieux les comprendre et de me connaître.
Je me pose une série de questions : Comment construit-on un foyer? Un chez-soi? Quelles ont été les conséquences d’une privation de nationalité sur l’enfance de ma sœur Solange? Quelles solutions pour les millions de personnes qui la vivent? Son histoire peut-elle en aider d’autres? Notre passé nous définit-il? Peut-on l’effacer ou le cacher? Ou faut-il, au contraire, le partager afin de sensibiliser les autres? Va-t-elle le partager avec ses enfants? Qu’en reste t-il? L’histoire de ma famille me fascine à tous points de vue. Je veux en analyser ses différents aspects, que ce soit l’aspect financier, social ou encore, la relation entre mes parents.
Ma sœur Solange est celle qui m’aidera à recoller les morceaux, mais à les comprendre également. Elle me guidera.